Notre expert Nicolas Bourachot, Avocat associé, prend la parole dans la Gazette du Palais du 19 Mars 2019 et vous en apprend plus sur l'interprofessionnalité des exercices...

Les premiers pas des SPE

Seule une poignée de structures ont, pour l’heure, tenté l’aventure de l’interprofessionnalité d’exercice. État des lieux et témoignages de quelques-uns de ces pionniers.

Depuis mai 2017, les avocats ont la possibilité d’exercer au sein de sociétés pluriprofessionnelles d’exercice ayant pour objet l’exercice en commun de deux ou plusieurs des professions d’avocat, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, commissaire-priseur judiciaire, huissier de justice, notaire, administrateur judiciaire, mandataire judiciaire, conseil en propriété industrielle et expert-comptable. Neuf professions réglementées du droit et du chiffre (hors commissariat aux comptes) dont certaines ont déjà une longue pratique du travail en partenariat ou au sein de réseaux pluridisciplinaires, plus ou moins informels.

2001-2017, la montée de l’interprofessionnalité dans les textes

En 2001, la loi Murcef a tout d’abord entériné l’interprofessionnalité capitalistique, via les sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL). Monoprofessionnelles pendant une décennie, elles ont pu ensuite devenir pluriprofessionnelles avec l’entrée en vigueur des décrets d’application de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques.

Instituées par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques no 2015-990 du 6 août 2015, dite loi Macron, et ses textes d’application (Ord. n° 2016-394, 31 mars 2016 ; D. n°s 2017-794 à 2017-801, 5 mai 2017), les sociétés pluriprofessionnelles d’exercice (SPE) autorisent aujourd’hui l’exercice de plusieurs de ces professions au sein d’une même structure. Les objectifs affichés par ces réformes successives sont restés sensiblement les mêmes à chaque étape : encourager ces professions à travailler ensemble et faciliter la mise en commun de capitaux, de moyens humains et matériels pour développer leur activité.

La SPE, qui est la forme la plus « poussée » de l’interprofessionnalité, n’en est pas moins qu’une option parmi d’autres. C’est aussi la plus récente pour les praticiens comme pour les institutions professionnelles. Et dans la mesure où ni le Conseil national des barreaux ni la Conférence des bâtonniers ne disposent de données centralisées concernant le nombre de SPE incluant des avocats (l’ordre des avocats de Paris en a pour sa part enregistré quatre), il faut interroger les autres professions pour constater qu’il en existe aujourd’hui un peu plus d’une vingtaine.

Avocats - CPI : une option qui répond à une demande ancienne.

En février 2019, soit presque 10 ans après l’échec du dernier projet de fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle (CPI), la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle recensait quatre SPE créées par des CPI et des avocats – « d’autres dossiers sont en cours d’examen », précise-t-elle.

Parmi les SPE constituées figurent Lavoix et Casalonga, deux grands cabinets qui, chacun, avant même la loi Macron, regroupaient déjà sous la même marque deux entités distinctes, l’une pour les CPI et l’autre pour les avocats. Les deux autres SPE sont des plus petites structures : un cabinet de CPI (trois associés) et une boutique d’avocats (deux associés) ont fusionné pour créer Taoma Partners à Paris, et une CPI et un avocat se sont associés pour fonder Lexando & Caracteq à Paris et Montpellier.

« L’interprofessionnalité était une demande des CPI depuis au moins 25 ans », rappelle Philippe Blot, président de la SPE Lavoix, constituée début 2018, où huit avocats exercent aujourd’hui aux côtés de la centaine de CPI diplômés ou en formation que compte le cabinet. « L’intérêt de la SPE est que l’on n’a plus à gérer deux entités distinctes, à s’occuper de refacturation, de flux financiers et de répartition entre elles », pointe-t-il. Même locaux, même adresse, même standard… et « le client n’a pas deux facturations mais une seule ». Et puis, « nous travaillons ensemble comme collègues et non plus comme entreprises partenaires ». Reste que cette formule présente peu d’intérêt pour un grand nombre de cabinets de CPI : « en propriété industrielle, le marché du conseil est énorme par rapport à celui du contentieux, de l’ordre de 1 à 1 000 » et c’est pourquoi beaucoup « ne font quasiment pas de contentieux », relève-t-il.

Avocats - experts-comptables : l’alliance du chiffre et du droit

Fin février 2019, le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables avait enregistré la création de seize SPE d’experts-comptables et d’avocats. Et ce, aux quatre coins de France : deux en Île-de-France, deux en Rhône-Alpes, une dans le Nord-Pas-de-Calais, une en Alsace, une en Lorraine, deux en Aquitaine, une en Midi-Pyrénées, deux en Languedoc-Roussillon et quatre en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Des structures de toutes tailles, spécialisées dans le conseil aux entreprises, et qui ont généralement choisi de fusionner après avoir longtemps travaillé ensemble.

À Lyon, l’objectif du groupe pluridisciplinaire implid (ex-Segeco), qui compte plus de 750 personnes après plusieurs acquisitions ces dernières années, vise à regrouper des sociétés couvrant les métiers de l’expertise comptable, de l’audit, du droit et du conseil. Dès juillet 2017, soit à peine 2 mois après la publication des décrets Macron, le groupe implid a créé une SPE avec un cabinet d’avocats lyonnais spécialisé en contentieux des affaires, Brumm & Associés, rejoint 1 an et demi plus tard par une partie des équipes du cabinet du conseil aux entreprises Jacques Bret pour former implid Legal (une soixantaine de personnes dont dix associés, à Lyon et Paris).

implid poursuit ainsi la constitution d’un pôle de services juridiques qui devrait également inclure, dès fin 2019, des notaires et des huissiers. Un rapprochement qui n’entraîne pas pour autant d’exclusivité : « nous essayons de travailler ensemble par principe, mais une grande partie des clients d'implid Legal ne sont pas des clients d'implid et la majorité des clients d'implid ne sont pas des clients d'implid Legal», explique Nicolas Bourachot, un des avocats associés qui a rejoint la SPE en janvier dernier. Côté clients, « certains sont demandeurs d’un service complet et d’autres non », mais « le full service a beaucoup de sens pour les TPE car les chefs d’entreprise apprécient le fait qu’un interlocuteur puisse gérer l’intégralité de leur dossier ».

En termes d’offre, « des synergies se font naturellement en droit social et en droit fiscal, matières qui ont toujours été à la frontière de l’expertise comptable et du droit », et « nous avons également élaboré des offres communes que nous sommes en train de présenter aux clients », poursuit-il. Par exemple, « pour des opérations de transmission d’entreprise, où les audits financiers, comptables et juridiques peuvent être menés conjointement, pour améliorer le fonds de roulement de l’entreprise, ce qui nécessite des compétences d’expert-comptable et d’avocats spécialistes du recouvrement », ou encore, après l’arrivée de notaires et d’huissiers au sein du groupe, « pour des offres transversales dans des secteurs tels que l’immobilier ».

De façon plus générale, la SPE est « une bonne opportunité pour les cabinets d’avocats de taille moyenne d’être intégrés dans un groupe structuré tout en conservant une taille raisonnable, c’est l’opportunité d’avoir à la fois les moyens d’un groupe et la pratique d’un cabinet très souple », estime-t-il. Auparavant, « nous n’avions pas forcément accès à des marchés pour lesquels nos structures, individuellement, étaient trop petites », alors qu’aujourd’hui, « nous avons une structure suffisamment forte pour répondre à des appels d’offres face à des structures uni professionnelles beaucoup plus grosses ».

pioniers du droit
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SPE avocats - notaires : de rares pionniers

Du côté du Conseil supérieur du notariat, on estime « à pas plus de trois ou quatre » le nombre de SPE incluant des notaires. La plus récente est probablement la SPE Lacourte & Associés (quatre associés dont trois notaires et un avocat) créée fin 2018 à Paris. « L’idée est d’accueillir une équipe de trois à cinq avocats et d’agréger leurs compétences à des activités dont le cœur de métier reste celui de notaire, d’être une étude qui tente des choses en sortant de son pré carré », explique le président de la SPE, Bertrand Lacourte, notaire honoraire devenu avocat après avoir été atteint par la limite d’âge imposée aux notaires par la loi Macron. Le projet est encore en phase de démarrage : la réflexion sur le contour des futures offres se poursuit et l’équipe est en cours de constitution, avec l’arrivée d’un jeune avocat et l’intégration à venir d’une avocate qui travaille au sein de l’étude depuis une dizaine d’années. L’initiative soulève par ailleurs des réactions contrastées de la part des praticiens du droit : « j’ai eu des mots tout à fait chaleureux de la part de certains et cet accueil favorable s’accentue, mais j’ai également reçu quelques tweets pas très agréables de la part d’autres, qui me reprochent d’avoir utilisé la SPE pour rester au sein de l’étude et d’entraver l’accession des plus jeunes… c’est absurde et c’est bien mal me connaître ! » regrette-t-il.

Quant à la toute première SPE avocat-notaire, c’est certainement celle constituée par Pascal Bottin-de Labarrière, longtemps notaire salarié à Toulouse avant de se voir attribuer un office par tirage au sort, avec le cabinet Raynaud Falandry Avocats, une structure inter-barreaux dont le siège est à Perpignan. La SPE compte aujourd’hui deux notaires dont un associé et quatre avocats dont trois associés, et un total d’une vingtaine de personnes entre Perpignan, Montpellier et Paris. « Après une quinzaine d’années dans le métier, j’avais prévu de quitter le notariat et de passer l’examen d’avocat pour rejoindre le cabinet Raynaud Falandry, avec qui je travaille depuis longtemps », raconte Pascal Bottin-de Labarrière, âgé de 44 ans lorsque le tirage au sort lui a attribué un office et qu’il a décidé de rejoindre le cabinet dans le cadre d’une SPE – profitant ainsi doublement des réformes Macron. L’objectif vise « à offrir un meilleur service au client, notamment en droit immobilier et en droit des sociétés », en particulier pour « les opérations qui passent par des actes authentiques », explique Jean-Pierre Raynaud, avocat et président de la SPE. Du côté des clients, « certains veulent garder leur notaire, d’autres préfèrent que tout se passe chez nous et, dans ce cas, cela se fait de façon très fluide », poursuit-il. Quelles réactions cette initiative provoque-t-elle de la part des notaires ?

« Certains observent avec envie, d’autres avec fatalisme, y compris chez les jeunes, et d’autres encore avec dégoût » répond Pascal Bottin-de Labarrière.

Enfin, la prochaine SPE sera peut-être celle que l’étude lyonnaise Bremens Associés Notaires (65 notaires) a prévu de créer avec les équipes de deux associés du cabinet Jacques Bret qui n’ont pas souhaité rejoindre le groupe implid. Les deux structures, pour l’heure encore distinctes au sein d’une holding commune, ont annoncé leur intention de fusionner d’ici la fin de l’année.

Avocats - huissiers de justice : un terrain encore vierge.

« À notre connaissance, il n’existe pas de SPE constituée d’huissiers de justice », indique, fin février 2019, la section de la Chambre nationale des commissaires de justice qui, actuellement, travaille surtout à la fusion de la profession d’huissier de justice avec celle de commissaire-priseur judiciaire. Selon Sophie Clanchet, présidente du réseau d’avocats et d’huissiers de justice Eurojuris, lequel a élaboré « une sorte de guide pour accompagner ceux de nos membres qui souhaitent étudier les opportunités de la pluriprofessionnalité », deux projets sont néanmoins en cours « entre un cabinet d’avocats et une étude d’huissiers, d’une part, et entre un cabinet d’avocats et un office notarial, d’autre part ». Par ailleurs, « nous réfléchissons à la création au cours du premier semestre 2019 d’une SPE dont Eurojuris serait associé afin de permettre aux professions juridiques de proposer des offres de produits spécifiques », ajoute-t-elle, sans préciser davantage les contours de ce projet.

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