Au programme de ce troisième épisode d’idcast, un numéro dédié aux enjeux de la fonction finance dans un contexte économique en tension, marqué par une succession de crises. Pérennité versus croissance : comment faire de ce contexte inflationniste une opportunité ? Quel rôle la fonction finance doit-elle tenir pour guider la stratégie de l’entreprise en gestion de crise ?

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Pour apporter leur expertise sur le sujet, trois experts implid : Virginie DAVID, Directrice Générale Développement et Transformation implid ; Philippe LESPLINGUIES, Directeur Conseil Finance implid ; et Edouard ELIARD, Avocat Associé en droit des sociétés Duteil Avocats / implid.

Pourquoi l'inflation bouleverse la chaîne de valeur des entreprises ?

Depuis plusieurs mois, nous connaissons un contexte inflationniste, conséquence directe de la guerre en Ukraine. L’inflation est estimée à 10 % sur la zone Euro, voire plus pour certains pays d’Europe comme l’Allemagne ou l’Italie. Les prévisionnistes estiment d’ailleurs que cela va se poursuivre sur 2023 avec des taux entre 7 et 8 %.

En premier lieu, nous constatons une hausse des prix des énergies. Pour certaines entreprises fortement consommatrices, les prévisions de coûts d’énergie pour 2023 peuvent quasiment doubler. 

Par conséquent, les coûts de matières premières, de production et les coûts de transport augmentent. Face à ces augmentations, les entreprises s’efforcent de soutenir financièrement, de manière fine et adaptée, leurs équipes par des augmentations de salaires. Une tension sur les coûts salariaux se fait donc également sentir. 

En plus de cette inflation, les banques centrales - qui ont anticipé les risques de récession ou de stagnation et les potentielles défaillances - ont augmenté les taux directeurs, avec des taux de refinancement ou de prêts qui se situent respectivement à 2 % et 2,25 % (+/- 1 point).

Ces hausses peuvent avoir pour effet de fragiliser toutes les entreprises, y compris celles en croissance pour qui il devient plus délicat de la financer en raison de la possible raréfaction de l’accès au financement.

C’est donc bien l’ensemble de la chaîne de valeur qui se trouve impactée : à la fois les ressources (matières et humaines), les moyens de production et logistiques, et les financements. D’autant que toutes les entreprises et secteurs sont impactés et répercutent en cascade ces effets sur leurs partenaires.

Comment aborder la finance en gestion de crise ?

Face à une succession de crises - financière, sanitaire, etc. -, la fonction finance en entreprise doit continuer à se métamorphoser. Ces crises entraînent à la fois des mutations profondes mais aussi un besoin de retour à des fondamentaux solides.

Ainsi, la gestion de la fonction finance en situation de crise repose toujours sur trois piliers essentiels :

  • Le pilotage de la trésorerie : synonyme de santé de l’entreprise, il permet des investissements, rassure en interne mais aussi les parties prenantes.
  • L’optimisation des dépenses : savoir se concentrer sur ce qui est essentiel au cœur d’activité, garantir que l’on retire pleinement avantage des services payés, répartir la responsabilité et les dépenses sur les parties prenantes comme cela devrait être fait.
  • Le financement de l’activité et de la croissance : utiliser les différents mécanismes existants. Aujourd’hui, certains secteurs d’activité en France fonctionnent très bien avec un financement du besoin en fonds de roulement (BFR) optimisé.

La fonction finance dépasse désormais sa traditionnelle posture de contrôle, d’enregistrement des opérations, de gestion des actifs ou de préparation des rapports financiers requis.

La direction financière (DAF) est désormais la fonction qui doit proposer une grille des catalyseurs de croissance de l’entreprise, fournir des perspectives et des renseignements utiles en temps opportun, des indicateurs de rendement clés, des analyses des risques d’affaires et des préconisations.

Comment piloter sa trésorerie pour tirer profit de cette crise ?

Face au contexte actuel, il convient de déterminer quelle stratégie la direction finance doit adopter entre maîtrise des risques et du cash pour assurer la pérennité de l’entreprise et ne pas obérer la croissance.

Les entreprises qui sortiront gagnantes de ce contexte particulier seront celles qui, d’une part, arriveront à faire les meilleurs arbitrages entre leur capacité à conserver ce niveau de rentabilité et cette capacité de génération de cash. Mais aussi, d'autre part, de piloter leur BFR. C'est-à-dire adapter le niveau de stock ou de besoin de l'activité pour éviter les ruptures, mais aussi maîtriser leurs délais de risques, leurs risques clients en contrepartie des fournisseurs, et pouvoir générer des couvertures sur leur matière première.

Les investissements restent à maintenir pendant cette période de crise. Il faut trouver le bon équilibre afin d’assurer à la fois la pérennité de l’entreprise et préparer son avenir.

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Quels sont les leviers à prioriser ?

Le premier levier, c’est l'exigence dans le respect des règles et des fondamentaux. Aujourd'hui, les délais de paiement sont très longs, ce qui entraîne un recouvrement problématique. En effet, ces dernières années, les entreprises ont été subventionnées, sous perfusion. C’est pourquoi les principes de base n’ont pas ou plus été appliqués. Les remettre en place permettra à nouveau d'avoir un fonctionnement plus sain.

Le deuxième levier, c’est la métamorphose induite par la succession de crises et le besoin d'accélérer le changement. Il est accentué par deux tendances de fond : la digitalisation et le renouvellement des générations. La crise sanitaire a aussi accentué le besoin d’agilité avec, par exemple, la réduction du cycle d'élaboration budgétaire, des rolling forecast plus réguliers. Et, d'autre part, intégrer des critères ESG à la stratégie de l'entreprise est devenu essentiel.

Par ailleurs, le travail en distanciel a, lui, participé à l'accélération de la digitalisation. Il faut donc accélérer sa transformation via la RSE ou la digitalisation. Ce sont des éléments d'actualité, quel que soit le secteur d'activité. Une entreprise qui n'a pas fait sa transformation RSE ou digitale n'aura plus accès au financement dans un futur proche.

Enfin, le dernier levier qui peut sembler évident, c'est la qualité et la fiabilité de la donnée. Plus que jamais, la maîtrise du pilotage des activités va être déterminante. Il faut que les décisions soient prises sur la base de bons critères.

Comment les dirigeants doivent optimiser leurs dépenses ?

Ce contexte inflationniste est l’occasion de faire le bilan de votre activité et de définir ce qui est vraiment utile à son bon fonctionnement. L’heure est à la priorisation et à la renégociation de vos contrats, côté clients et fournisseurs. 

Êtes-vous dans l’utilisation complète de ce que vous payez ? Beaucoup de choses sont faites en doublon dans les entreprises. L’idée n’est plus d’empiler les couches, au contraire ! Il faut se recentrer sur les dépenses vraiment utiles, sur le cœur de votre métier, via la construction d’un plan de compétitivité. L’objectif est de mesurer ce qui est vraiment nécessaire au fonctionnement de votre activité.

Quel est l'impact de l'inflation sur le financement de votre croissance ?

Les augmentations des taux directeurs de la BCE en juillet puis en septembre 2022 restent du jamais vu depuis plus de 10 ans. Les tensions sur la trésorerie d’exploitation et l’accès au financement suscitent un certain niveau d'inquiétude.

Au titre de l’exploitation, les besoins de trésorerie peuvent être le recours :

  • aux couvertures : lier l’impact de la hausse des coûts des énergies et de certaines matières afin de disposer d’une visibilité, de se donner le moyen de lisser leurs impacts dans le temps ;
  • au pilotage de la génération du cash de l’activité et du BFR en procédant au mieux aux arbitrages en vue d’optimiser les cash-flow et couvrir les besoins d’exploitation et les charges d’intérêt ;
  • à la mobilisation de créances - affacturage, cession Dailly, escompte, etc. -  ou leurs titrisations.

Au titre des investissements, l’anticipation des besoins de financement est le maître mot pour rester dans une perspective de relance/croissance et rester dans le « match » qui se jouera en sortie de crise. Cela concerne aussi la capacité de projection sur d'éventuelles opérations de croissance externe.

L’enjeu est peut-être plus tendu sur l’obtention du financement en tant que tel que de pouvoir en absorber son coût.

La maîtrise de la structure bilantielle et le pilotage de la génération du cash sont encore et toujours les deux enjeux clés avec un discernement plus aiguisé et prospectif.

La situation va-t-elle conduire à des difficultés d'accès aux financements ?

La situation entraîne des difficultés d’accès aux financements mais, si la stratégie de gestion des coûts est bonne, le contexte actuel n’entraîne pas davantage de difficultés. 

Les prix vont baisser avec les taux d’intérêt. La tendance est à la baisse, le marché se régule. Il va y avoir de nouvelles opportunités.

Il convient de se recentrer en optimisant ses process et ses coûts. Il faut tenir cette phase de transition d’environ 2 ans en se structurant pour ne pas louper l’étape d’après.

Il n’y a jamais eu autant de solutions qu’aujourd'hui – comme les financements alternatifs - il faut donc en profiter. Il faut se projeter en tenant bon tout au long de cette phase de transition car l’avenir n’est pas si critique.

Quel est le rôle de la fonction finance dans ce contexte inflationniste ?

Dans ce contexte, la place de la direction finance est renforcée dans la stratégie des entreprises, notamment dans son influence sur la gouvernance. Ce n’est pas la fonction finance qui doit décider de tout, mais elle doit avoir la capacité de s’imposer. 

Cette fonction a une place centrale. Elle doit être en capacité d’accompagner les opérationnels en leur donnant une vision prospective pour assurer une dynamique de relance/croissance, et jouer son rôle de « gardien du temple » pour garantir la pérennité. 

La direction finance doit être en mesure de comprendre les métiers et être en lien avec eux afin de mieux arbitrer. 

La fonction de DAF nécessite d’avoir du leadership pour s’imposer et orienter la stratégie de l’entreprise. Le directeur financier a un rôle d’arbitre avec tout ce que cela comporte. Le DAF a beaucoup de responsabilités, surtout si les résultats ne sont pas là. 

Dans ces moments-là, les entreprises ont besoin de vrais directeurs financiers, car il faut penser stratégie et métiers, au-delà de la pure fonction finance.

Cela démontre qu’on ne peut pas avoir que des financiers à la tête des entreprises. Il ne faut pas piloter que par les chiffres. Ce n’est pas ce qui fait la réussite d’une entreprise. Elle est parfois plus guidée par la bonne intuition d’un dirigeant.

Enfin, la fonction finance doit aussi avoir une ouverture vis-à-vis de sa méthode pour aller chercher les financements.

Staffing, données, capacité de projection : le DAF doit être accompagné par une équipe. La donnée produite doit être de bonne qualité et être transmise dans des délais raisonnables.

La fonction finance doit également avoir la capacité de prévoir deux ou trois scénarios pour établir des tendances. Le DAF doit mettre la bonne pression au bon moment. Il faut accepter de ne pas être rentable tout de suite.

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